Littérature
Des charniers récemment découverts au Mans ont inspiré à notre collaborateur un roman sur les blessures des guerres de Vendée.
Yves Viollier : « Il est temps de pacifier la mémoire de la Vendée »
Deux siècles ont passé depuis la Révolution française. Mais les guerres de Vendée sont restées une plaie mal cicatrisée chez les habitants de la région. Il a suffi que des charniers soient mis au jour, au Mans, pour que l’émoi renaisse. De ce passé qui nargue le présent, Yves Viollier a fait la matière de son dernier roman, Délivre-moi, publié cette semaine chez Laffont. L’écrivain y revient sur l’épisode tragique de la Virée de Galerne. Après avoir essuyé une défaite à Cholet, en octobre 1793, les Vendéens insurgés contre la république avaient traversé la Loire et entamé un parcours victorieux jusqu’à Granville. Mais arrivés là, ils ne trouvèrent pas les renforts anglais escomptés. Le repli donna lieu à une terrible débâcle, au cours de laquelle l’armée catholique et royale, flanquée de dizaines de milliers de civils, femmes et enfants, finit par être piégée par les troupes républicaines dans les rues du Mans, les 12 et 13 décembre 1793.
Comment l’idée du roman vous est-elle venue ?
En février 2009, lorsque j’ai lu dans le quotidien régional que des charniers venaient d’être découverts dans le parc des Quinconces des jacobins, en plein centre du Mans, j’ai éprouvé un choc. Comme l’héroïne de mon roman, Clotilde, j’ai immédiatement pris ma voiture sous une pluie battante pour me rendre sur place. En vue de construire un nouveau centre culturel, la municipalité avait fait raser l’ancien bâtiment, et des squelettes avaient affleuré. En fait, la mémoire collective avait gardé la trace des massacres de la bataille du Mans, et le jardin derrière le théâtre avait mauvaise réputation. Les habitants l’ont toujours considéré avec méfiance, comme un lieu maudit et mal famé. En me retrouvant au fond des fosses, j’ai eu le sentiment d’être au milieu des miens, face à mes fantômes. L’écriture allait me faire cheminer vers le mystère qui fait partie de moi.
Éclairez-nous...
Je viens d’une famille paysanne originaire de Château-Fromage, un village de Vendée (le verbe fromager, en langue poitevine, signifie enlever le fumier). Château-Fromage fut rasé en 1794 par les « colonnes infernales » du général Turreau. Enfant, je jouais parmi les pierres de l’église en ruine. Mais mes parents ne m’ont pas élevé dans la nostalgie ni dans le mythe des Vendéens héroïques. Je me souviens d’un professeur d’histoire qui, au collège, nous avait remis sa thèse de doctorat sur les prêtres martyrs. Ce passé-là était pour moi à des années-lumière… Au fil des ans, j’ai pourtant fini par m’y intéresser. Je savais qu’il y avait eu des massacres au Mans. Mais, devant les charniers, j’en ai soudain touché la réalité. Et cela m’a conduit ensuite vers les archives régionales où j’ai découvert l’ampleur des tueries.
Où en est aujourd’hui le travail des archéologues ?
Neuf charniers ont été mis au jour au Mans, et les archéologues estiment qu’il en existe encore bien d’autres. Des milliers de squelettes sont en train d’être étudiés, dont 40 % sont ceux de femmes et d’enfants. Connaîtra-t-on jamais le nombre exact de morts ? Les historiens parlent de 2 000 à 5 000 victimes vendéennes pour les journées des 12 et 13 décembre 1793. Parallèlement à la répression républicaine, une épidémie de dysenterie (on l’appelait « la prussienne ») fut favorisée par le temps exécrable. Des habitants du Mans, des républicains, civils ou militaires, ont donc aussi été jetés dans les fosses…
Comment la mémoire officielle s’est-elle imposée ?
La république n’était pas fière de ses exactions : c’est ainsi que l’histoire a été déformée. On a fait des Vendéens des royalistes réactionnaires, et ce costume nous a collé à la peau jusqu’à aujourd’hui. Même si, au départ, les Vendéens étaient tout aussi favorables à la Révolution que les autres provinciaux. Mais deux choses les ont fait basculer : la conscription et la religion. Les bourgeois, qui avaient pris la place des aristocrates, ont traité les paysans avec arrogance, les ont envoyé se
battre aux frontières et leur ont imposé le clergé jureur, alors qu’ils tenaient à garder leurs « bons prêtres ». Quand il a été décidé d’envoyer la troupe, les Vendéens ont voulu défendre leur liberté contre le jacobinisme. Comme ils ne savaient pas se battre, ils ont appelé les aristocrates à la rescousse, qui ont récupéré leur lutte en clamant qu’elle était un « combat pour le roi ». Et la Convention s’en est trouvée ravie : l’histoire officielle a catalogué les Vendéens comme des gens rétrogrades, refusant les réformes et les Lumières.
Quel rôle la littérature peut-elle jouer face aux distorsions historiques ?
En 1983, le roman de Michel Ragon, les Mouchoirs rouges de Cholet, a fait considérablement évoluer le regard des Français sur la Vendée. Sans doute plus sûrement que les chercheurs, qui avaient déjà commencé à rétablir la vérité historique. Michel Ragon a marqué les esprits en racontant la vie d’un village qui tente de se relever après le passage des colonnes infernales.
En 2007, Pierre Péan a également publié Une blessure française, un récit-document qui a enfoncé le clou.Le républicain Pierre Péan avait découvert avec effarement les horreurs qui s’étaient passées dans le village de ses ancêtres, près d’Ancenis.
Et vous, comment définissez-vous votre démarche de romancier ?
Je n’ai pas voulu développer quelque thèse que ce soit. J’ai plutôt souhaité retracer de la manière la plus sensible, la plus saisissante possible, le drame qu’avaient traversé au jour le jour les humbles gens embarqués dans cette folie. Il n’y a chez moi aucun désir de prendre parti pour un camp ou un autre, mais bien plutôt celui de montrer le plus simplement possible ce qui s’est passé. Mon travail sur les archives m’a permis de reconstituer le quotidien tragique de mon personnage, Sétima, la survivante des massacres, son séjour dans les églises transformées en prisons sordides, son passage devant le juge
qui envoyait à la guillotine. Dans les documents d’époque, j’ai découvert des « Justes », dont le greffier Lardreau, personnage historique, qui sauva des Vendéens au tribunal du Mans. La réalité ne fut pas manichéenne mais complexe, comme dans toute tragédie.
La découverte des charniers donne lieu à une polémique sur la récupération des ossements…
Les élus Philippe de Villiers et Hervé de Charette ont réclamé que les ossements reviennent en terre de Vendée. Moi, je souhaite qu’on laisse les gens reposer en paix là où ils sont morts. Nous n’allons pas recommencer à nous étriper autour de squelettes, d’origines diverses, d’ailleurs. C’est un combat d’arrière-garde, je ne suis pas passéiste. Une fois la vérité historique reconnue, il me semble préférable de se tourner vers l’avenir. Et vers les autres.
Comment l’idée du roman vous est-elle venue ?
En février 2009, lorsque j’ai lu dans le quotidien régional que des charniers venaient d’être découverts dans le parc des Quinconces des jacobins, en plein centre du Mans, j’ai éprouvé un choc. Comme l’héroïne de mon roman, Clotilde, j’ai immédiatement pris ma voiture sous une pluie battante pour me rendre sur place. En vue de construire un nouveau centre culturel, la municipalité avait fait raser l’ancien bâtiment, et des squelettes avaient affleuré. En fait, la mémoire collective avait gardé la trace des massacres de la bataille du Mans, et le jardin derrière le théâtre avait mauvaise réputation. Les habitants l’ont toujours considéré avec méfiance, comme un lieu maudit et mal famé. En me retrouvant au fond des fosses, j’ai eu le sentiment d’être au milieu des miens, face à mes fantômes. L’écriture allait me faire cheminer vers le mystère qui fait partie de moi.
Éclairez-nous...
Je viens d’une famille paysanne originaire de Château-Fromage, un village de Vendée (le verbe fromager, en langue poitevine, signifie enlever le fumier). Château-Fromage fut rasé en 1794 par les « colonnes infernales » du général Turreau. Enfant, je jouais parmi les pierres de l’église en ruine. Mais mes parents ne m’ont pas élevé dans la nostalgie ni dans le mythe des Vendéens héroïques. Je me souviens d’un professeur d’histoire qui, au collège, nous avait remis sa thèse de doctorat sur les prêtres martyrs. Ce passé-là était pour moi à des années-lumière… Au fil des ans, j’ai pourtant fini par m’y intéresser. Je savais qu’il y avait eu des massacres au Mans. Mais, devant les charniers, j’en ai soudain touché la réalité. Et cela m’a conduit ensuite vers les archives régionales où j’ai découvert l’ampleur des tueries.
Où en est aujourd’hui le travail des archéologues ?
Neuf charniers ont été mis au jour au Mans, et les archéologues estiment qu’il en existe encore bien d’autres. Des milliers de squelettes sont en train d’être étudiés, dont 40 % sont ceux de femmes et d’enfants. Connaîtra-t-on jamais le nombre exact de morts ? Les historiens parlent de 2 000 à 5 000 victimes vendéennes pour les journées des 12 et 13 décembre 1793. Parallèlement à la répression républicaine, une épidémie de dysenterie (on l’appelait « la prussienne ») fut favorisée par le temps exécrable. Des habitants du Mans, des républicains, civils ou militaires, ont donc aussi été jetés dans les fosses…
Comment la mémoire officielle s’est-elle imposée ?
La république n’était pas fière de ses exactions : c’est ainsi que l’histoire a été déformée. On a fait des Vendéens des royalistes réactionnaires, et ce costume nous a collé à la peau jusqu’à aujourd’hui. Même si, au départ, les Vendéens étaient tout aussi favorables à la Révolution que les autres provinciaux. Mais deux choses les ont fait basculer : la conscription et la religion. Les bourgeois, qui avaient pris la place des aristocrates, ont traité les paysans avec arrogance, les ont envoyé se
battre aux frontières et leur ont imposé le clergé jureur, alors qu’ils tenaient à garder leurs « bons prêtres ». Quand il a été décidé d’envoyer la troupe, les Vendéens ont voulu défendre leur liberté contre le jacobinisme. Comme ils ne savaient pas se battre, ils ont appelé les aristocrates à la rescousse, qui ont récupéré leur lutte en clamant qu’elle était un « combat pour le roi ». Et la Convention s’en est trouvée ravie : l’histoire officielle a catalogué les Vendéens comme des gens rétrogrades, refusant les réformes et les Lumières.
Quel rôle la littérature peut-elle jouer face aux distorsions historiques ?
En 1983, le roman de Michel Ragon, les Mouchoirs rouges de Cholet, a fait considérablement évoluer le regard des Français sur la Vendée. Sans doute plus sûrement que les chercheurs, qui avaient déjà commencé à rétablir la vérité historique. Michel Ragon a marqué les esprits en racontant la vie d’un village qui tente de se relever après le passage des colonnes infernales.
En 2007, Pierre Péan a également publié Une blessure française, un récit-document qui a enfoncé le clou.Le républicain Pierre Péan avait découvert avec effarement les horreurs qui s’étaient passées dans le village de ses ancêtres, près d’Ancenis.
Et vous, comment définissez-vous votre démarche de romancier ?
Je n’ai pas voulu développer quelque thèse que ce soit. J’ai plutôt souhaité retracer de la manière la plus sensible, la plus saisissante possible, le drame qu’avaient traversé au jour le jour les humbles gens embarqués dans cette folie. Il n’y a chez moi aucun désir de prendre parti pour un camp ou un autre, mais bien plutôt celui de montrer le plus simplement possible ce qui s’est passé. Mon travail sur les archives m’a permis de reconstituer le quotidien tragique de mon personnage, Sétima, la survivante des massacres, son séjour dans les églises transformées en prisons sordides, son passage devant le juge
qui envoyait à la guillotine. Dans les documents d’époque, j’ai découvert des « Justes », dont le greffier Lardreau, personnage historique, qui sauva des Vendéens au tribunal du Mans. La réalité ne fut pas manichéenne mais complexe, comme dans toute tragédie.
La découverte des charniers donne lieu à une polémique sur la récupération des ossements…
Les élus Philippe de Villiers et Hervé de Charette ont réclamé que les ossements reviennent en terre de Vendée. Moi, je souhaite qu’on laisse les gens reposer en paix là où ils sont morts. Nous n’allons pas recommencer à nous étriper autour de squelettes, d’origines diverses, d’ailleurs. C’est un combat d’arrière-garde, je ne suis pas passéiste. Une fois la vérité historique reconnue, il me semble préférable de se tourner vers l’avenir. Et vers les autres.
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